Chry. Qu'importe qu'elle manque aux lois de Vaugelas, Pourvu qu'à la cuisine elle ne manque pas? J'aime bien mieux, pour moi, qu'en épluchant ses herbes Elle accommode mal les noms avec les verbes, Et redise cent fois un bas et méchant mot, Que de brûler ma viande ou saler trop mon pot. 110 Je vis de bonne soupe, et non de beau langage. Vaugelas n'apprend point à bien faire un potage; Et Malherbe et Balzac, si savants en beaux En cuisine, peut-être, auraient été des sots. assomme! Et quelle indignité, pour ce qui s'appelle D'être baissé sans cesse aux soins matériels, Le corps, cette guenille, est-il d'une importance, D'un prix à mériter seulement qu'on y pense? 120 Et ne devons-nous pas laisser cela bien loin? Chry. Oui, mon corps est moi-même, et j'en veux prendre soin. Guenille, si l'on veut; ma guenille m'est chère, Mais, si vous en croyez tout le monde savant, Doit être à le nourrir du suc de la science. Chry. Voulez-vous que je dise? Il faut qu'enfin j'éclate, Que je lève le masque et décharge ma rate. 130 De folles on vous traite, et j'ai fort sur le cœur.... Phil. Comment donc Chry. (À Bélise) C'est à vous que je parle, ma sœur. Le moindre solécisme en parlant vous irrite; Vos livres éternels ne me contentent pas; Et laisser la science aux docteurs de la ville; M'ôter, pour faire bien, du grenier de céans, 140 Cette longue lunette à faire peur aux gens, Et cent brimborions dont l'aspect importune; Ne point aller chercher ce qu'on fait dans la lune, Et vous mêler un peu de ce qu'on fait chez Et dans ce vain savoir, qu'on va chercher si loin, Raisonner est l'emploi de toute ma maison, L'autre rêve à des vers quand je demande à Enfin je vois par eux votre exemple suivi, Car c'est, comme j'ai dit, à vous que je Phil. Quelle bassesse, ô ciel, et d'âme et de Phil. (A Trissotin) Ce sont charmes pour moi que ce qui part de vous. Arm. Ce m'est une douceur à nulle autre pareille. Bel. Ce sont repas friands qu'on donne à mon oreille. Phil. Ne faites point languir de si pressants désirs. Arm. Dépêchez. Bél. Faites tôt, et hâtez nos plaisirs. Phil. A notre impatience offrez votre épigramme, Tris. (A Philaminte) Helas! c'est un enfant tout nouveau-né, madame. Son sort assurément a lieu de vous toucher; Et c'est dans votre cour que j'en viens d'accoucher. Phil. Pour me le rendre cher il suffit de son père. 10 :0 30 40 50 Tris. Votre approbation lui peut servir de mère. Bél. Qu'il a d'esprit ! HENRIETTE entre. Phil. (À Henriette qui veut se retirer) Holà! Pourquoi donc fuyez-vous? Hen. C'est de peur de troubler un entretien si doux. Phil. Approchez, et venez, de toutes vos oreilles, Prendre part au plaisir d'entendre des merveilles. [Hen. Je sais peu les beautés de tout ce qu'on écrit, Et ce n'est pas mon fait que les choses d'esprit. Phil. Il n'importe. Aussi bien ai-je à vous dire ensuite Un secret dont il faut que vous soyez instruite.] Tris. (A Henriette) Les sciences n'ont rien qui vous puisse enflammer, Et vous ne vous piquez que de savoir charmer. Hen. Aussi peu l'un que l'autre; et je n'ai ... nulle envie. Bél. Ah! songeons à l'enfant nouveau-né, je vous prie. Phil. (A Lépine) Allons, petit garçon, vite, de quoi s'asseoir. (Lepine, en apportant des chaises, se laisse tomber.) Voyez l'impertinent! Est-ce que l'on doit choir, Après avoir appris l'équilibre des choses? Bél. De ta chute, ignorant, ne vois-tu pas les causes? Et qu'elle vient d'avoir du point fixe écarté terre. Phil. (À Lépine qui sort) Le lourdaud! Phil. Servez-nous promptement votre aimable repas. Tris. Pour cette grande faim qu'à mes yeux on expose, Un plat seul de huit vers me semble peu de chose, Et je pense qu'ici je ne ferai pas mal De joindre à l'épigramme, ou bien au madrigal, Phil. Tris. Superbement et magnifiquement! Bél. Ah! tout doux; laissez-moi de grâce respirer. Arm. Donnez-nous, s'il vous plaît, le loisir d'admirer. Phil. On se sent à ces vers, jusques au fond de l'âme, Couler je ne sais quoi qui fait que l'on se pâme. Arm. Faites-la sortir, quoi qu'on die, De votre riche appartement. Que riche appartement est là joliment dit! Arm. De quoi qu'on die aussi mon cœur est Phil. Faites-la sortir, quoi qu'on die. Que de la fièvre on prenne ici les intérêts; N'ayez aucun égard, moquez-vous des caquets, Faites-la sortir, quoi qu'on die, Quoi qu'on die, quoi qu'on die. Ce quoi qu'on die en dit beaucoup plus qu'il ne semble. Je ne sais pas, pour moi, si chacun me ressemble; Mais j'entends là-dessous un million de mots. 60 70 80 9c 100 Bel. Il est vrai qu'il dit plus de choses qu'il n'est gros. Phil. (A Trissotin) Mais quand vous avez Et pensiez-vous alors y mettre tant d'esprit? Arm. J'ai fort aussi l'ingrate dans la tête: 110 Venons-en promptement aux tercets, je vous prie. Arm. Ah! s'il vous plaît, encore une fois quoi qu'on die. Tris. Faites-la sortir, quoi qu'on die... Phil., Arm. et Bél. Quoi qu'on die! Tris. De votre riche appartement. Phil., Arm. et Bél. Riche appartement! Phil., Arm. et Bél. Cette ingrate de fièvre! Phil. Votre belle vie! Arm. et Bél. Ah! 120 Phil. On n'y saurait marcher que sur de belles choses. Arm. Ce sont petits chemins tout parsemés Tris. Le sonnet donc vous semble ... 140 Et personne jamais n'a rien fait de si beau. Vous faites là, ma nièce, une étrange figure. Hen. Point. Je n'écoute pas. Phil. Ah! Tris. SUR UN CARROSSE DE COULEUR AMARANTE Phil. Ses titres ont toujours quelque chose de rare. Arm. À cent beaux traits d'esprit leur nouveauté prépare. Tris. L'amour si chèrement m'a vendu son lien.... 1 Tris. Qu'il m'en coûte déjà la moitié de mon bien; Et fait pompeusement triompher ma Lais.... Phil. Ah! ma Laïs! voilà de l'érudition. Bél. L'enveloppe est jolie, et vaut un million. Tris. Et quand tu vois ce beau carrosse Où tant d'or se relève en bosse Et fait pompeusement triompher ma Lais, Dis plutôt qu'il est de ma rente. Arm. Oh, oh, oh! Celui-là ne s'attend point du tout. Phil. On n'a que lui qui puisse écrire de ce goût. Bél. Ne dis plus qu'il est amarante, Dis plutôt qu'il est de ma rente. Voilà qui se décline, ma rente, de ma rente, à ma rente. Phil. Venez; on va dans peu vous les faire savoir. Tris. (Présentant Vadius) Voici l'homme qui meurt du désir de vous voir; En vous le produisant, je ne crains point le blâme D'avoir admis chez vous un profane, madame: Il peut tenir son coin parmi les beaux esprits. Phil. La main qui le présente en dit assez le prix. Tris. Il a des vieux auteurs la pleine intelligence, Et sait du grec, madame, autant qu'homme de France. Phil. (A Bélise) Du grec! ô ciel, du grec! Il sait du grec, ma sœur! Bél. (A Armande) Ah! ma nièce, du grec! Que, pour l'amour du grec, monsieur, on vous Phil. J'ai pour les livres grecs un merveilleux respect. Vad. Je crains d'être fâcheux par l'ardeur qui m'engage À vous rendre aujourd'hui, madame, mon hommage, Et j'aurai pu troubler quelque docte entretien. Phil. Monsieur, avec du grec on ne peut gâter rien. Tris. Vos vers ont des beautés que n'ont point tous les autres. Vad. Les Grâces et Vénus règnent dans tous les vôtres. Tris. Vous avez le tour libre et le beau choix des mots. Vad. On voit partout chez vous l'ithos et le pathos. Tris. Est-il rien d'amoureux comme vos chansonnettes? Vad. Peut-on rien voir d'égal aux sonnets que vous faites? Tris. Rien qui soit plus charmant que vos petits rondeaux? Vad. Rien de si plein d'esprit que tous vos madrigaux? Tris. Aux ballades surtout vous êtes admirable. Vad. Et dans les bouts rimés je vous trouve adorable. (A Trissotin) Hom! C'est uneballade, et je Que réclament sur toi les Grecs et les Latins ! Vad. Va, va-t'en faire amende honorable au Parnasse D'avoir fait à tes vers estropier Horace ! Tris. Souviens-toi de ton livre et de son peu de bruit ! Vad. Et toi, de ton libraire à l'hôpital réduit! Tris. Ma gloire est établie, en vain tu la déchires. Vad. Ma plume t'apprendra quel homme je puis être. Tris. Et la mienne saura te faire voir ton maître. Vad. Je te défie en vers, prose, grec et latin. 250 Tris. Eh bien! nous nous verrons seul à seul chez Barbin. 10 20 30 LES FOURBERIES DE SCAPIN ACT II.-Scene 11. SCAPIN, GÉRONTE. Sca. (Faisant semblant de ne pas voir Géronte) O ciel! ô disgrâce imprévue! ô misérable pere! Pauvre Géronte, que feras-tu? Ger. (A part) Que dit-il de moi, avec ce visage affligé? Sca. N'y a-t-il personne qui puisse me dire où est le Seigneur Géronte? Gér. Qu'y a-t-il, Scapin? Sca. (Courant sur le théâtre, sans vouloir entendre ni voir Géronte) Où pourrai-je le rencontrer, pour lui dire cette infortune? Gér. (Courant après Scapin) donc? Qu'est-ce Sca. Je l'ai trouvé tantôt tout triste de je ne sais quoi que vous lui avez dit, où vous m'avez mélé assez mal à propos; et, cherchant à divertir cette tristesse, nous nous sommes allés promener sur le port. Là, entre autres choses, nous avons arrêté nos yeux sur une galère turque assez bien équipée. Un jeune Turc de bonne mine nous a invités d'y entrer, et nous a 40 présenté la main. Nous y avons passé. 50 Il nous a fait mille civilités, nous a donné la collation, où nous avons mangé des fruits les plus excellents qui se puissent voir, et bu du vin que nous avons trouvé le meilleur du monde. Gér. Qu'y a-t-il de si affligeant à tout cela? Sca. Attendez, monsieur, nous y voici. Pendant que nous mangions, il a fait mettre la galère en mer; et, se voyant éloigné du port, il m'a fait mettre dans un esquif et m'envoie vous dire que, si vous ne lui envoyez par moi, tout à l'heure, cinq cents écus, il va vous emmener votre fils en Alger. Gér. Comment diantre! cinq cents écus! Sca. Oui, monsieur; et, de plus, il ne m'a donné pour cela que deux heures. Gér. Ah! le pendard de Turc! m'assassiner de la façon ! Sca. C'est à vous, monsieur, d'aviser promptement aux moyens de sauver des fers un fils que vous aimez avec tant de tendresse. Gér. Que diable allait-il faire dans cette galère? Sca. Il ne songeait pas à ce qui lui est arrivé. Gér. Va-t'en, Scapin, va-t'en vite dire à ce Turc que je vais envoyer la justice après lui. Sca. La justice en pleine mer! vous moquez. vous des gens? Gér. Que diable allait-il faire dans cette galère? Sca. Une méchante destinée conduit quelquefois les personnes. Gér. Il faut, Scapin, il faut que tu fasses ici l'action d'un serviteur fidèle. Sca. Quoi, monsieur? Gér. Que tu ailles dire à ce Turc qu'il me renvoie mon fils, et que tu te mettes à sa place jusqu'à ce que j'aie amassé la somme qu'il demande. Sca. Hé, monsieur! songez-vous à ce que & vous dites? et vous figurez-vous que ce Turc ait si peu de sens que d'aller recevoir un misérable comme moi à la place de votre fils! Gér. Que diable allait-il faire dans cette galère? Sca. Il ne devinait pas ce malheur. Songez, monsieur, qu'il ne m'a donné que deux heures. Gér. Tu dis qu'il demande . . . ? Sca. Cinq cents écus. Gér. Cinq cents écus! n'a-t-il point de conscience? Sca. Vraiment oui! de la conscience à un Turc! Gér. Sait-il bien ce que c'est que cinq cents écus? Sca. Oui, monsieur; il sait que c'est mille cinq cents livres. Ger. Croit-il, le traître, que mille cinq cents livres se trouvent dans le pas d'un cheval! Sca. Ce sont des gens qui n'entendent point 100 de raison. Gér. Mais que diable allait-il faire dans cette galère? Sca. Il est vrai; mais quoi! on ne prévoyait pas les choses. De grâce, monsieur, dépêchez. Gér. Tiens, voilà la clef de mon armoire. Gér. Tu l'ouvriras. Sca. Fort bien. Gér. Tu trouveras une grosse clef du côté 113 gauche, qui est celle de mon grenier. |