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athléte vigoureux. N'oublions jamais qu'il s'agit moins de sauver à cet âge si tendre les incommodités de la vie, que de l'y aguerrir; songeons que lui trop épargner la douleur pour le présent, c'est l'augmenter pour l'avenir, et qu'enfin c'est accroître sa délicatesse que la trop ménager. Cet arbre, exposé en pleine campagne aux injures de l'air, jette des racines profondes et lève un front inébranlable, tandis que, renfermé soigneusement dans nos serres artificiellement échauffées, le timide arbrisseau est flétri par un souffle.

Vous faut-il des exemples? Deux enfants ont sucé le même lait, la même nourrice les a portés dans ses bras. L'un, sorti de parents pauvres, né pour acheter par de rudes travaux le droit de vivre, reste dans les champs où il reçut le jour : là, sauvage élève de la nature, nourri d'un pain grossier, courant à demi nu, il semble avoir été jeté au hasard sur la terre. L'autre, né d'un père opulent, retourne à la ville, sous les lambris qui l'ont vu naître, où de nombreux domestiques s'empressent autour de lui, où la tendresse inquiéte d'une mère vole au-devant de toutes ses fantaisies. Après quelques années, comparez-les tous deux: n'admirezvous pas à combien peu de frais l'un est devenu sain et vigoureux, et combien il en a coûté pour rendre l'autre languissant et débile? C'est la nature qui venge ses droits outragés. Qu'avez-vous fait? pourroit dire à une mère cruellement complaisante cette malheureuse victime. Votre tendresse perfide m'a rendu importun à moi-même et inutile à ma patrie. Que m'importent vos misérables richesses? Si je les conserve, compenseront-elles ma santé perdue? Si je les perds, quelle sera ma ressource? A ce prix, qu'avois-je besoin de la

vie? Ou reprenez ce funeste présent, ou rendez-moi mes bras; rendez-moi ma santé, sans laquelle la vie n'est qu'un malheur. Cet habitant des champs est mille fois plus heureux! La dureté de ses premières années lui a rendu la vie plus douce, et vous, vous avez multiplié pour moi l'inclémence des saisons; vous m'avez rendu la chaleur plus ardente et le froid plus piquant. Quelle haine eût été pire que votre amour?

Mais ce n'est pas seulement par les particuliers, c'est par les peuples entiers qu'on peut juger de l'influence d'une éducation mâle. Je ne parlerai point ici de ces Spartiates si fameux. Je n'ai garde de décrire la frugalité effrayante de leurs festins, les exercices incroyables de la jeunesse, la dureté des lois auxquelles on asservissoit l'enfance même; ces jeux sur-tout, ces jeux souvent sanglants, où, par une émulation qui autrefois paroissoit héroïque, qui même enfantoit des héros, les enfants se défioient à qui supporteroit sans sourciller les coups les plus violents, souvent même les plus meurtriers: je me garderai bien, dis-je, d'offrir un pareil tableau ; on ne me croiroit pas, ou l'on me regarderoit comme un barbare. J'aurois beau ajouter que ces hommes étoient au-dessus de l'humanité, qu'ils furent l'admiration de la Grèce, et la terreur des rois; qu'ils se croyoient plus heureux dans leur austérité, que les Asiatiques dans leur mollesse; tous ces prodiges, aussi incroyables pour nous que les mœurs qui les ont produits, ne me feroient pas pardonner une peinture si choquante pour nos mœurs, j'ai presque dit notre mollesse.

Cherchons donc ailleurs des exemples moins révoltants. Mes yeux rencontrent d'abord les Romains. Si je

c.

les considère comme guerriers, sont-ce là des homines ordinaires? Chaque soldat portoit un fardeau qui écraseroit un homme de nos jours: sous cette charge prodigieuse, ils ne marchent pas, ils volent; devant eux les montagnes semblent s'abaisser, et les fleuves tarir. Si je considère leurs monuments, je vois des chefsd'œuvre qui, par leur grandeur autant que par leur beauté, paroissent surpasser la puissance humaine; plusieurs même semblent, par leur inaltérable solidité, avoir vécu jusqu'à nos jours, comme pour attester la force des anciens, et nous reprocher notre foiblesse! Quel secret avoit rendu ces hommes infatigables? Allez l'apprendre dans le lieu consacré au dieu de la guerre, théâtre des exercices de la jeunesse romaine; voyez-vous ceux-ci lancer le disque, ceux-là s'exercer à une lutte pénible; d'autres dompter un cheval fougueux, d'autres darder avec force un javelot pesant, puis, tout couverts de sueur et de poussière, se jeter dans le Tibre, et le passer à la nage? Coeurs maternels, ne vous effarouchez pas ! Je n'exige point de nos jours des exercices que nous sommes assez malheureux pour regarder comme des excès. Mais permettez-moi de gémir sur les progrès sensibles que fait parmi nous la mollesse. Je ne parle pas ici du luxe qui règne dans nos villes, où tant d'arts ingénieux à nous amollir, enlevant à la campagne une foule de bras, les occupent à multiplier les commodités de toute espèce qui, pour nous punir, se changent en nos besoins. La mollesse (qui l'auroit cru?) du sein de nos villes a passé jusque dans les camps. Ces tentes de Mars, où nos aïeux ne portoient que du fer et leur courage, sont étonnées de toutes ces superfluités dont regorgent nos palais.

Voyez-vous ces chars brillants et commodes, qui se produisent sous mille formes nouvelles pour promener notre indolence? C'étoit peu de traîner nos Crésus dans nos villes, ils conduisent nos guerriers aux combats. Je crois voir nos brillants militaires sourire dédaigneusement, lorsqu'ils lisent dans l'histoire que Louis XIV, ce roi dont les fêtes brillantes attiroient l'Europe entière dans sa cour, aussi infatigable dans la guerre que magnifique dans la paix, fit à cheval la campagne de Hollande! Comment soutiendrions-nous les fatigues militaires de nos aïeux, nous qui pouvons à peine soutenir leurs délassements! A tous ces jeux où brilloient la force et l'adresse, ont succédé de tristes assemblées autour d'un tapis où l'ennui régneroit seul, si l'avarice n'y présidoit en secret. A peine les promenades sont-elles fréquentées; et les hommes, partageant dans nos cercles oisifs la vie sédentaire d'un sexe auquel ils s'efforcent de ressembler, ont soin de s'étouffer dans de belles prisons : j'entends même dire qu'il est de mode, parmi les gens du bel air, de feindre une constitution foible, de jouer le dépérissement, et de regarder la santé comme un avantage ignoble qu'on abandonne au peuple. A quoi doit-on attribuer cette mollesse, si ce n'est à l'éducation? Si nous ne sommes pas hommes, c'est qu'on nous élève comme des femmes. Cependant, consolons-nous. Nos voitures nous dispensent d'avoir des pieds, nos valets d'avoir des bras; et bientôt nos secrétaires nous exempteront d'avoir des lumières; car cette molle éducation ne se elle effémine l'esprit. d'énerver le pas corps, Voyons comment l'éducation opposée produit un effet contraire.

contente

DEUXIÈME PARTIE.

Quel est l'objet de l'éducation considérée par rapport à l'esprit? C'est sans doute de rendre l'homme agréable et utile dans la société. Un homme qui ne seroit qu'agréable, existeroit inutilement existeroit inutilement pour ses concitoyens. Un homme qui ne seroit qu'utile, laisseroit desirer en lui cet agrément précieux qui embellit la société, et pour les autres et pour nous; car, plus nous plaisons aux hommes, plus les hommes nous plaisent

à nous-mêmes.

On sera sans doute étonné de m'entendre dire qu'une éducation mâle et solide peut faire un homme aimable. Nos modernes instituteurs, si brillants et si commodes, lui accorderont tout au plus le privilége de former un homme tristement utile, destiné à tracer pesamment, dans le champ de la société, quelques sillons laborieux, capable enfin d'y faire naître quelques fruits, mais jamais d'y faire éclore des fleurs. Pour dissiper ce préjugé, jetons d'abord les yeux sur l'éducation opposée. En voyant les défauts de l'une, peutêtre sentira-t-on mieux le prix de l'autre. Après avoir donné aux enfants quelques notions superficielles de géographie et d'histoire, les avoir entretenus sur-tout de blason, d'armoiries, et d'écussons (comme s'ils ne pouvoient s'accoutumer de trop bonne heure à regarder comme importants les emblèmes de la vanité), ne croyez pas qu'on s'occupe de former leur jugement, d'exercer leur raison; mais, ce qui est bien autrement essentiel dans un siècle où il est si commun de dire de jolies choses, et si rare d'en faire de belles, on s'at

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