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DISCOURS

SUR L'ÉDUCATION,

Prononcé à la distribution des prix du collège d'Amiens, en 1766.

Jamais peut-être on n'a parlé si souvent sur l'éducation qu'on le fait aujourd'hui. Chaque jour voit éclore sur cette importante matière quelque nouveau paradoxe. Pour moi, au lieu d'imaginer un système sur ce sujet, je me contenterai de rappeler les anciens principes; au lieu d'inventer des erreurs nouvelles, je me bornerai à rappeler d'antiques vérités; et peut-être mon discours n'en paroîtra que plus nouveau. Je me propose donc de faire valoir les avantages d'une éducation mâle et solide, et les dangers d'une éducation superficielle et efféminée. Quel sujet pourroit mieux convenir, et aux auditeurs, je parle devant des pères et des mères de ce qui doit faire le bonheur de leurs enfants; et à l'orateur, il est chargé par la confiance publique de ces gages précieux; et au lieu de l'assemblée, je parle dans l'asile même de l'éducation; et à la ville entière, elle est consacrée à l'utile profession du commerce? Et quelle profession a plus besoin de cette éducation sévère, que celle qui est fondée sur une féconde économie, qui de tout temps a été l'amie de la simplicité des mœurs, et qui, en répandant le luxe dans les états, le redoute pour elle-même ?

Dans un sujet si noble, je n'aurois point eu recours à ces divisions, dont la symétrie puérile semble moins imaginée pour soulager l'esprit de ceux qui écoutent, que pour étayer la foiblesse de celui qui parle, si ce sujet même ne m'en eût fourni une toute naturelle : mais puisque l'éducation a trois objets, le corps, l'esprit, le cœur, je suivrai ce partage nécessaire. Quelques personnes pourront trouver, dans les maximes de ce Discours, un excès de sévérité; mais à Dieu ne plaise que, pour éviter ce reproche, je manque à mon sujet. J'aime mieux m'entendre accuser d'avoir outré le vrai par zéle, que de m'entendre blâmer de l'avoir dissimulé par foiblesse. D'ailleurs, une réflexion me rassure; c'est que la vérité, qui, dans les cercles et les sociétés particulières paroît si timide, souvent même si déplacée, reprend tout son ascendant et toute son autorité, lorsqu'elle trouve les hommes réunis dans une nombreuse et respectable assemblée. Que me reste-t-il donc à desirer, si ce n'est de pouvoir m'exprimer d'une manière digne et de mon sujet et de ceux qui m'entendent?

PREMIÈRE PARTIE.

Le corps est l'esclave de l'ame; mais pour rendre cet esclave plus utile, il faut le rendre robuste. Or, cette force de corps, je dis qu'elle ne peut être le fruit que d'une éducation mâle. Loin des enfants d'abord tous nos mets raffinés, tous nos poisons agréables: l'enfance est l'âge favori de la Nature; l'art ne viendra que trop tôt le corrompre. Qu'il donne au corps nouvellement formé le temps de se fortifier par l'usage

salutaire des mets les plus simples, avant de l'énerver par la délicatesse recherchée de nos perfides aliments. Étudiez les premières sensations des enfants. Tout semble vous dire que ce vain raffinement du luxe n'est pas fait pour eux : leur appétit, toujours vif, n'a besoin d'être réveillé par aucun apprêt; pour eux, à moins qu'on n'ait déja pris soin de corrompre leur goût, les mets les plus naturels sont aussi les plus attrayants. Offrez-leur, d'un côté, les viandes les plus rares; et, de l'autre, présentez-leur des fruits: vous devinez aisément leur choix; et je suis bien trompé si le verger d'un paysan ne les tente beaucoup plus que la table d'un Crésus. Donnez-leur donc une nourriture plus naturelle que délicate; contentez leurs besoins, au lieu de flatter leur goût, et n'introduisez pas, dans leur sein, le germe de la mort dès les premiers instants de la vie.

Cette sage sévérité, il faut l'étendre à tout, à leur repos, à leurs exercices, à leurs vêtements. Croyezvous, dites-moi, qu'il soit bien essentiel pour la santé d'un enfant de le retenir long-temps enfermé dans un lit, étouffé entre des rideaux, au lieu de lui laisser respirer l'air pur et rafraîchissant du matin? Croit-on qu'il soit nécessaire de l'ensevelir mollement dans la plume, et qu'il faille employer à énerver ses forces, un temps que la nature destine à les réparer? La mollesse ne produit que la mollesse. Eh! qu'ont besoin les enfants, eux que le sommeil vient trouver si facilement, de cette ressource faite pour un âge plus foible, ou peutêtre plus dépravé? Voulez-vous leur procurer un sommeil profond? qu'ils l'appellent par l'exercice: une heure de mouvement leur vaudra huit heures de re

pos; et la course la plus légère va changer pour eux le lit le plus dur en un duvet voluptueux. L'exercice! c'est le père de la santé; mais sur-tout il est fait pour l'enfance. Et pourquoi, sans cela, les enfants auroientils reçu cette inquiétude perpétuelle, cette haine pour le repos, cette ardeur pour le mouvement? Sans doute, il ne faut pas les livrer sans précaution à cette impétuosité naturelle: je ne veux pas qu'ils jouent sur le bord d'un abyme; mais que cette précaution ne soit pas excessive, de peur qu'elle ne soit funeste. Je souffre quand je vois des enfants tristement enchaînés au côté de leur mère, quand je vois ces Catons anticipés, ridiculement graves, regarder du coin de l'œil le volant ou la balle qui, si les regards maternels se détournent un instant, va bientôt déconcerter toute cette décence forcée. On appelle cela une sagesse précoce; et moi, je le nomme une pédanterie ridicule. Eh! pourquoi donc le ciel vous donne-t-il des enfants? est-ce pour en faire de jolies statues? Ah! rendez-leur la liberté; réglez en eux la nature, au lieu de l'étouffer! Ils sont faits pour courir, pour bondir, et non pour partager notre indolence et notre ennui. Leur teint, peut-être, sera moins blanc; mais il aura la couleur vermeille de la santé. Leur chevelure sera moins artistement peignée; mais leur tempérament sera inaltérable.

Nous sommes si jaloux de leur donner des graces! Mais puisque l'agrément est une chose si importante à nos yeux, qui ne voit combien cette éducation forte y contribue? Les corps les plus exercés sont aussi les plus agiles. La véritable élégance des postures dépend de la fermeté du maintien, et j'aime mieux les atti

tudes mâles, la souplesse vigoureuse d'un corps formé par de fréquents exercices, que les articulations efféminées, les courbettes ridicules de ces machines appelées petits-maîtres, qui, si j'ose ainsi parler, se meuvent par ressorts, et se disloquent pour plaire. Mais laissons là les graces, et revenons à la santé. Combien d'ennemis conspirent contre elle? Dès qu'un enfant voit le jour, voyez comment les saisons opposées se liguent en quelque sorte pour combattre sa foible existence! L'une semble vouloir fondre ses membres; l'autre semble vouloir les glacer. Comment sauver les enfants de ce double danger? Est-ce en les y dérobant avec soin? non: c'est en les y exposant avec prudence? Que signifient tous ces vêtements dont vous les surchargez? Ce ne sont pas des doubles tissus de laine qu'il faut opposer au froid, mais l'habitude de le braver. Pendant l'été, vous ne trouvez pas d'asile assez frais pour dérober vos enfants aux impressions de la chaleur; autrefois on ne trouvoit pas le soleil trop brûlant pour les y accoutumer: c'est à l'expérience à nous apprendre lequel de ces deux usages est le plus barbare.

L'enfance, dites-vous, est délicate! j'en conviens. Mais ne voyez-vous pas que si elle reçoit facilement les impressions extérieures, elle les endure de même? La flexibilité du premier âge est pour lui le don le plus heureux de la nature, si nous savions en tirer parti. Le sort de votre enfant est entre vos mains: susceptible de toutes les formes que vous saurez lui donner, à moins que la nature ne l'ait condamné en naissant, il dépend de vous de lui donner un corps robuste ou débile, d'en faire une femmelette timide ou un

T. I. POÉS. FUG.

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