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Ce que Pierre ébaucha, Catherine l'achève;
Sous ses mains chaque jour l'édifice s'élève,
Et, pour le décorer, accourant à sa voix,
Tous les arts à l'envi se rangent sous ses lois.
Moins grand étoit celui qui, dans Thebes naissante,
Entraînoit les rochers par sa lyre puissante.

Vive, vive à jamais cet écrit précieux ('),

Où, pour former son fils sous ses augustes yeux,
Par l'appât de la gloire à la richesse unie,
Une grande princesse appelle un grand génie!

Et qu'on doute long-temps qui doit frapper le plus,

Ou d'une offre sublime, ou d'un noble refus!

Mais, que vois-je? Un champ clos, des devises, des armes,

Des cartels sans fureur, des combats sans alarmes (*):

Je vois, je reconnois ces spectacles guerriers,

Qui jadis délassoient nos braves chevaliers.
C'est ainsi qu'aux plaisirs associant la gloire,
Ils faisoient, en jouant, l'essai de la victoire;
Ainsi, leur repos même, utile à la valeur,
De l'héroïsme en eux nourrissoit la chaleur.

Jeux brillants, qu'a proscrits notre oisive mollesse,
Moscovites heureux, le Français vous les laisse.

Eh quoi! ce goût du beau, que vous puisiez chez nous,
Faut-il, à notre tour, l'aller trouver chez vous?

(1) Lettre de l'impératrice de Russie à M. d'Alembert, pour l'inviter à se charger de l'éducation du grand duc de

Russie.

(2) Carrousels ordonnés par l'impératrice de Russie.

Poursuivez: secondez une illustre princesse ;
Ce germe des talents, cultivez-le sans cesse ;
Et, dans de nouveaux lieux cherchant des arts nouveaux,
Par leur propre lumière éclipsez vos rivaux.

Des voyages, ami, tel est sur nous l'empire:
C'est l'air du monde entier que par eux on respire.
Si tous ces grands objets ont des charmes pour toi;
Si l'ardeur de savoir t'entraîne loin de moi,
Sans doute tes adieux me coûteront des larmes ;
Mais un motif bien noble adoucit mes alarmes :
Quoi que perde, dans toi, ton ami désolé,
Tu vas former ton cœur ; le mien est consolé.

ÉPITRE SUR LE LUXE.

1774

Sors de la tombe, sors, réveille-toi, Boileau! Rembrunis tes couleurs, raffermis ton pinceau; Mais laisse en paix Cotin, misérable victime, Immolée au bon goût, quelquefois à la rime. Près des mauvaises mœurs, que font les mauvais vers? Laisse là nos écrits, et combats nos travers: Viens; je veux à tes traits les livrer tous ensemble. Le luxe! dans lui seul, ce monstre les rassemble.

- Quoi! sur nos mœurs encor des sermons importuns, Des déclamations, de tristes lieux communs?

-Des lieux communs! non, non. Si je disois : « Dorante
Fait briller à son doigt deux mille écus de rente;
Ce commis, échappé de l'ombre des bureaux,
Fait courir deux valets devant ses six chevaux;
De l'épais Dorilas, que Paris vit si mince,
Le salon coûte autant que le palais d'un prince;
Ce traitant, dans un jour, consume plus dix fois
Qu'il ne faut pour nourrir son village six mois. »
Voilà des lieux communs, trop communs, je l'avoue.
Mais si je dis : « Cet homme, attendu sur la roue,
Par un faste orgueilleux courbe tout devant lui :
Ce qui perdit Fouquet, l'absoudroit aujourd'hui.

Ce vieux prélat se plaint, dans l'orgueil qui l'enivre,
Qu'un million par an n'est pas trop pour bien vivre;
Cette beauté vénale, émule de Deschamps,
Des débris de vingt ducs scandalise Longchamps ;
De sa vile moitié ce trafiquant infame

Étale impudemment l'or qui paya sa femme. »
Sont-ce des lieux communs que de pareils tableaux?
Non; grace à vos excès, mes vers seront nouveaux.
Mais n'outrons rien : je hais ceux dont le zéle extrême
Donne tort au bon droit, et rend faux le vrai même.
Équitables censeurs, fuyons dans nos écrits

Les préjugés de Sparte et ceux de Sybaris.
Sur un petit état jugeant un grand royaume,

Je ne viens point loger nos princes sous le chaume;
Ravaler nos Crassus aux Romains du vieux temps,
Des pois de Curius régaler nos traitants;
A nos jeunes marquis, si fous de leur parure,
Du vieux Cincinnatus faire endosser la bure;
A nos galants seigneurs citer le dur Caton.
Non: je serois gothique; et le morne baron,
Fier du superbe hôtel qu'il veut que l'on admire,

A de pareils discours se pâmeroit de rire.

Il est un luxe utile et décent, j'en conviens,

Permis aux grands états, aux grands noms, aux grands biens;

Qui, jusqu'au dernier rang, refoulant la richesse,

Fait redescendre l'or qui remonte sans cesse.

Il est un autre luxe au vice consacré,

De l'active industric enfant dénaturé.

L'orgueil seul éleva ce colosse fragile;

Son simulacre est d'or, et ses pieds sont d'argile;
La vanité le sert, l'orgueil à ses genoux

Immole sans pitié, fils, femme, père, époux.

bouffissure;

Squelette décharné, son étique figure
Affecte un embonpoint qui n'est que
Sous la pourpre brillante il cache des lambeaux,
Et son trône s'élève au milieu des tombeaux.

Mais j'entends murmurer de graves politiques,
Gens d'état, financiers, auteurs économiques.
De leurs discours subtils j'aime la profondeur;
Mais enfin, avant tout, il s'agit du bonheur.
Voyons: d'un luxe adroit les savants artifices
Ont de nos jours, dit-on, varié les délices.
Malheureux qui se fie à ses prestiges vains!
De nos biens, de nos maux, les ressorts souverains,
Quels sont-ils? la nature, et sur-tout l'habitude.

En vain de ton bonheur tu te fais une étude:

Sous l'humble toit du sage, heureux sans tant de soins, se rit de tes pompeux besoins.

Le vrai plaisir se rit de tes

Dis-moi quand l'air plus pur, quand la rose nouvelle
Loin de nos murs fameux dans nos champs te rappelle,
Si d'un riche parterre, orné de cent couleurs,
Mille vases brillants ne contiennent les fleurs;
Si l'oiseau n'est captif dans de vastes treillages;

Si l'eau ne rejaillit parmi des coquillages;
En retrouves-tu moins le murmure des eaux,

Le doux baume des fleurs, le doux chant des oiseaux?

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