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VERS

POUR LE JARDIN DE MADAME D'HOUDETOT.

O combien j'aime mieux vos riants paysages
Que ces parcs, de Plutus dispendieux ouvrages,
Où venoient à grand bruit se cacher autrefois,
Et les ennuis des grands, et les chagrins des rois!
Je trouve l'innocence et le bonheur champêtre,
Dans ces lieux que vos mains ont pris soin d'embellir.
L'oiseau, de vous charmer semble s'enorgueillir,
Les roses s'empressent d'y naître,

Et le chêne veut y vieillir.

J'aime de vos gazons les nappes verdoyantes;
Vos élégants bosquets, vos bois majestueux,
Tout plaît à mes regards: vos routes ondoyantes
Ne me tourmentent point de replis tortueux,
Et l'on y peut marcher, y rêver deux à deux.
A ces beaux lieux, que le bon goût décore,
Plus d'un doux monument vient ajouter encore:
De tous ceux qui vous furent chers,
Dont vous aimiez l'éloquence ou les vers,
Sous les abris sacrés de ces feuillages sombres,
On croit voir revenir et voltiger les ombres.

Votre art veut émouvoir, et non pas éblouir :

Pour vous, aimer c'est vivre, et rêver c'est jouir :
La douleur rêveuse a son charme.

Dès qu'on arrive à ce jardin charmant,
Le cœur est sûr d'un sentiment,

Et l'oeil se promet une larme.

Tout ici se conforme à vos tendres douleurs;
Pour vous, le noir cyprès rembrunit ses couleurs,
L'onde plaintive attriste son murmure,

Un jour mélancolique éclaire l'ombre obscure,
Et le saule incliné joint son deuil à vos pleurs.
Eh! qui peut près de vous demeurer impassible?
Quels barbares échos peuvent rester muets?
Les doux ressouvenirs habitent vos bosquets;
La tristesse chérit leur silence paisible;

Et pour exprimer vos regrets,

La pierre même apprend à devenir sensible (1).

(1) C'est le cas de placer ici une lettre charmante et inédite de madame d'Houdetot à Delille, pour le remercier de son poëme de l'Imagination, qu'il lui avoit envoyé.

« Je ne puis, mon cher Delille, contenir ma reconnoissance et me taire sur le ravissement que j'ai éprouvé à la lecture de votre dernier ouvrage. Je dois tout encore à cette déesse que vous chantez si bien.

Toi qui m'as rappelé les jours de ma jeunesse ;
Tous ces rêves d'amour, de bonheur, de vertu,
Par toi viennent encore enchanter ma vieillesse :

Delille, tu m'as tout rendu!

Hélas! je vis ici avec des souvenirs dont vous n'avez pu

mmm

VERS

SUR LE PORTRAIT DE MADEMOISELLE LA FAULOTTE.

La douce rêverie et la vivacité,

La gaieté jointe à la décence, La finesse avec l'innocence, Et la pudeur avec la volupté;

trop vanter la puissance, et avec des ombres animées par la puissance de celle qui vous inspire, et qu'elle rend vivantes autour de moi. Pourquoi faut-il que je sois obligée de vous ranger au milieu d'elles? oh! si vous vouliez encore venir quelques instants les invoquer autour de moi, vous réaliseriez un moment de beaux songes à qui je dois encore tant de plaisirs. J'ai été tentée un moment d'être jalouse pour la mémoire de mon ancien ami (*), de tous les rayons de gloire qui vous environnent: mais je me suis dit qu'il en jouiroit s'il vivoit encore, et j'aime bien mieux m'associer à ses vertus. S'il est resté chez vous, mon cher Delille, quelque trace de ces moments délicieux que nous avons passés ensemble, réunis avec ce qui faisoit la gloire et les délices de notre temps, vous viendrez m'apporter ce que les dieux firent pour Énée, le rameau d'or nécessaire pour les aller retrouver dans l'Élysée. Songez que celle qui vous écrit a

soixante-seize ans. »

() M. de Saint-Lambert, auteur du poëme des Saisons.

Voilà quel heureux assemblage

A dû composer votre image.

D'où vient qu'avec plaisir l'oeil saisit chaque trait De cette peinture fidéle?

C'est qu'on trouve dans le portrait

Ce qu'on chérit dans le modèle.

Que dis-je? Le pinceau ne parle ici qu'aux yeux : Où sont ces chants délicieux,

Ces harmonieuses merveilles

Qui ravissent le cœur et flattent les oreilles?
J'écoute, et n'entends point les accents enchanteurs
De cette voix si légère et si tendre.
Heureusement pour la paix de nos cœurs,
L'art de Zeuxis ne peut les rendre.

Son image sur nous auroit trop de pouvoir,
Si le pinceau joignoit le bonheur de l'entendre
Au plaisir si doux de la voir.

Et si je pénétrois dans cette ame si pure,
Que dans un corps charmant enferma la nature,
Que de sentiments délicats!

Je voudrois bien les peindre; mais, hélas!
La vertueuse Annette à sa gloire s'oppose;
D'un vain renom évitant les éclats,
La modeste pudeur qui dans son cœur repose,
Voile à nos yeux ses innocents appas:

C'est le calice de la rose

Dont le parfum s'exhale et ne se montre pas.

VERS

A M. CHARLES DE LACRETELLE,

AUTEUR DU PRÉCIS HISTORIQUE DE LA RÉVOLUTION,

Au tour facile, à la phrase nombreuse
De l'harmonieux Cicéron,
Vous unissez la touche vigoureuse

De l'historien de Néron;

Tout seconde vos vœux ; la Discorde elle-même,
Qui des serpents du Styx tressant son diadème,
Excitoit aux combats les peuples et les rois,
Vous rend hommage en rentrant dans l'abîme,
Et de ses dissonantes voix

Forme

pour vous un concert unanime:

Vos inexorables pinceaux,

Mieux que

la hache et que

Par un supplice légitime,

les échafauds,

Même après leur trépas punissent nos bourreaux. J'aime à voir l'affreux Robespierre,

Dont le nom seul effraie encor la terre,

Sur les degrés sanglants de son trône abattu,
De son code assassin devenir la victime;
Et je pense voir la Vertu

Écrivant l'histoire du Crime.

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