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s'en préfente, en prenant foin d'en faire honneur à celui à qui je la dois.

J'ajoutera, feulement une rémarque de peu de conféquence, mais qui me paroit néceffaire pour donner toute fa perfection à la phrase, fur laquelle vous avez travaillé fi heureufement. Voici la phrafe avec le changement que vous propofez. Nec effe in vos otio veftro confultum ab Romanis credatis. Or in vos ne me paroit point s'accorder avec otio veftro. L'expreffion in vos femble marquer quelque chofe qui doit être contraire au bien des Carthaginois, & qui par con fequence s'allie mal avec l'idée de leur repos. Ainfi au lieu de ces mots in vos j'aimerois mieux lire in his. Alors la phrafe fera complètement bonne. Nec effe in his otio veftro confultum ab Romanis credatis. "Ne "penfez pas que dans ces mefures que prennent les

Romains, pour vous ôter toutes vos forces, & en vous interdifant la guerre avec l'étranger, ils "aient eu pour objet votre tranquillité & votre repos.

Il ne me reste plus, Monfieur, qu'à vous remercier de la bonté que vous avez eu de me faire part d'une idée auffi heureufe. Ce feroit une grande joie pour moi fi je recevois fouvent de pareils secours fur tout ce que j'ai donné au public.

J'ai l'honneur d'être, avec bien de la reconnoiffance & de refpect, &c,

CREVIER,

N° II.

M. ALLAMAND à Mr. GIBBON.

MONSIEUR,

BEX, Sept. 14, 1756.

A PRESENT que me voilà échappé de l'orage des fonctions publiques dont cette églife eft chargée en tems de fête, je faifis avec joie quelques momens de repos pour m'entretenir, Monfieur, avec vous: ce fera, s'il vous plait, fans faire de trop grands efforts fur l'article des idées innées que vous me propofez. Outre que je rifquerois de dire comme je ne fais quelle des interlocutrices de Terence, Magno conatu magnas nugas; il y a fort long tems que je n'ai relu M. Locke, l'oracle moderne fur cette matière, & il faudroit trop de tems & de papier pour tout éplucher. Ayez donc la bonté de vous contenter des premières réflexions qui fe préfenteront fur quelques endroits de fon premier livre.

Je commence par le chap. i. § 5. où cet habile homme entreprend de prouver que ces deux principes, Ce qui eft, eft; il eft impoffible qu'une même chofe foit,

en même temps ne foit pas, ne font point innées, puifqu'ils n'étoient point dans l'efprit pendant l'enfance; & la preuve qu'ils n'y étoient pas, c'est que l'enfant n'y penfoit point, & que bien des gens meurent, fans les avoir jamais apperçus ;. M.. Locke, "une idée ne fauroit être dans l'efprit, "fans que l'efprit ne s'en apperçoive," &c.

"or,

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dit

Il eft clair, Monfieur, que toute la force de ce

raifonnement, eft dans cette dernière affertion; mais cette affertion; n'eft elle pas évidemment détruite par l'expérience? Appercevez vous actuellement toutes les idées que vous avez dans l'efprit? N'y en a t'il point auxquelles vous ne prendrez peutêtre garde de plufieurs années? Et dans les efforts que l'on fait fouvent pour rappeler ce qu'on a confié à fa mémoire; ne fent on pas qu'il peut y avoir des connoiffances fi cachées dans fes replis, que loin de les appercevoir fans ceffe, il faut bien de la peine pour les rattraper? Je fais que M. Locke, qui a fenti la difficulté, tâche de la réfoudre. Ch. iii. § 20. Mais en vérité, la longueur & l'embarras de cet article montrent affez que M. L. n'étoit pas à fon aile en l'écrivant; & comment y auroit il été ? Voici, autant que j'en puis juger, à quoi il se réduit. Il avoue, “Que nous avons dans l'efprit des idées que nous n'apper❝cevons point actuellement; mais, dit-il, c'eft « dans la mémoire qu'elles font: & cela eft si vrai, "qu'on ne fe les rappelle point fans fe fouvenir, en "même tems, qu'on les a déjà apperçues. Or, tel "n'eft point le cas des idées qu'on prétend innées. "Quand on les apperçoit pour la première fois, ce "n'eft point avec réminiscence, comme on devroit,

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fi ces idées là avoient été dans l'efprit avant cette "première apperception," &c.

De grace, Monfieur, croyez vous que M. Locke s'entendit bien lui-même, quand il diftinguoit être dans l'efprit & être dans la mémoire ? Et qu'importe à la question, qu'on fe fouvienne d'avoir déjà fu ce que l'on fe rappelle, s'il n'en eft pas moins vrai qu'on l'a eu long-temps dans l'efprit fans s'en appercevoir;

ce qui eft le point dont il s'agit? Au refte, M. Locke auroit pu fentir que fi l'on ne fe rappelle point les idées innées par réminiscence, c'est qu'elles ne font point entrées dans l'efprit d'une manière qui ait exigé, ou attiré fon attention. Et c'eft auffi le cas de plufieurs idées acquifes; car, quoiqu'en dife M. Locke, chacun fe trouve au besoin, nombre d'idées qui ne peuvent s'être infinuées dans fon efprit, qu'à la préfence de certains objets, auquels il n'a point pris garde, ou, en général, par des moyens inconnus, qui l'ont enrichi fans qu'il fache comment, & fans qu'il crut les avoir jufques au moment qu'elles fe font présentées.

Sur le fond même de la queftion, il me femble que M. Locke confond perpétuellement deux chofes trèsdifférentes. L'idée elle même, qui eft une connoiffance dans l'efprit & un principe de raifonnement; & l'énoncé de cette idée en forme de propofition, ou de définition. Il fe peut, & il eft même très-probable, que bien des gens n'ont jamais formé ou envisagé en eux mêmes cet énoncé, il est impoffible qu'une chofe foit. &ne foit pas en même tems. Voyez Liv. 1. ch. i. § 12. Mais fuit-il delà, qu'ils ne connoiffent pas la vérité qu'il exprime, & qu'ils n'en ont pas l'idée ? - Nullement. Tout homme qui affure, qui nie, tout homme qui parle, un enfant quand il demande, quand il refufe, quand il fe plaint, &c. ne fuppofe t'il pas, que dès qu'une chofe eft, il eft impoffible qu'en même tems elle ne foit pas? Ne trouvez vous pas, Monfieur, qu'on pourroit foutenir la réalité des idées innées, précisément fur ce que M. Locke allégue contre elles, que beaucoup de gens n'ont jamais penfé aux propo

fitions évidentes dont il parle; car, puifque fans y avoir penfé, ils s'en fervent, ils bâtiffent là-deffus, ils jugent de la vérité, ou de l'abfurdité d'un difcours par fes rapports avec ces principes-là, &c. D'où leur vient cette familiarité avec des principes qu'ils n'ont jamais apperçus diftinctement, fi ce n'eft de ce qu'ils en ont une connoiffance, ou fi l'on veut, un fentiment naturel?

Aux § 17 & 18, M. Locke nie que le confentement que l'on donne à certaines propofitions, dès qu'on les entend prononcer, foit une preuve que l'idée qu'elles expriment foit innée; & il fe fonde, fur ce qu'il y a bien des propofitions que l'on reçoit ainft d'abord, qui certainement ne font point innées; & il en donne divers exemples, viz. deux & deux font quatre, &c. Mais ne vous paroîtra - t'il pas qu'il confond ici des fimples définitions des mots avec des vérités évidentes par elles mêmes? Au moins, eft-il certain que tous fes exemples font des fimples définitions des mots, deux & deux font quatre. L'idée qu'on exprime par deux deux, eft la même que celle qu'on exprime par quatre, &c. Or perfonne ne dit que la connoiffance d'une définition de mots foit innée, puifqu'elle fuppofe celle du langage. Mais cette propofition, le tout eft plus grand que chacune de fes parties, n'eft point dans ce cas; & il eft certain que le plus petit enfant fuppofe la vérité de cette propofition toutes les fois que non content d'une moitié de pomme, il veut la pomme toute entière.

Prenez la peine, Monfieur, d'examiner le § 23; où M. Locke veut convaincre de fauffeté cette fuppofition, qu'il y a des principes tellement innés, que

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