Imágenes de páginas
PDF
EPUB

eeux qui en entendent pour la première fois, & qui en comprennent l'énoncé, n'apprennent rien de nouveau. "Premièrement, dit-il, il eft clair qu'ils

ont appris les termes de l'énoncé & la fignification "de ces termes." Mais qui ne voit que M. Locke fort de la question? Perfonne n'a jamais dit que des termes, qui ne font que des fignes arbitraires de nos idées, fuffent innés. Il ajoute, "Que les idées renfermées "dans de pareils énoncés ne naiffent pas plus avec

[ocr errors]

nous, que leurs expreffions, & qu'on acquiert ces "idées dans la fuite après en avoir appris les noms. Mais, 1. N'eft ce pas donner pour preuve de ce qu'on affirme, cette affirmation même? Il n'y a point d'idées innées, car il n'y en a que d'acquifes! M. Locke riroit bien d'un pareil raifonnement, s'il le trouvoit dans fes adverfaires. 2. S'il eft vrai qu'on apprend les mots avant que d'avoir les idées qu'ils expriment, au moins s'il eft vrai que cela foit toujours ainfi comme M. Locke l'entend, je voudrois bien savoir comment la première langue a pu être formée ? Et même comment il eft poffible qu'on faffe comprendre à quelqu'un le fens d'un mot nouveau pour lui? Tout homme qui n'a nulle idée de l'ordre, par exemple, doit auffi peu être capable d'entendre ce mot ordre, qu'un aveugle né celui de couleur,

Au § 27, M. Locke nie les idées innées, parcequ'elles ne paroiffent ni dans les enfans, ni dans les imbécilles, où elles devroient paroître le plus. Mais, 1. Ceux qui admettent les idées innées, ne les croyent pas plus naturelles à l'ame, que fes facultés; puis donc que l'état & la conftitution du corps nuit à celles-ci dans les imbécilles, elle fera auffi caufe qu'on ne leur

remarque point les autres. 2. Le fait même n'eft pas entièrement vrai; les enfans & les imbécilles ont l'idée de leur existence, de leur individualité, de leur identité, &c.

Dans le refte de ce §, M. Locke fe divertit au dépens de ceux qui croyent que les énoncés des maximes abftraites font innées: mais les plus déterminés fcholaftiques n'ont jamais rien dit de femblable, & il rit d'une chimère qu'il s'eft faite lui même.

Je ne fais, Monfieur, comment il eft arrivé qu'au lieu de trois ou quatre courtes réflexions que j'aurois dû vous donner fur tout ceci, je me fuis engagé dans une critique longue & ennuyeufe, de quelques endroits d'un feul chapitre : c'eft apparemment un reste de laffitude: j'ai trouvé plus de facilité à fuivre & à chicaner M. Locke qu'à penfer tout feul. Prenez patience & pardonnez. J'entrevois bien des chofes à dire fur le fecond chapitre, où il s'agit des principes innés de pratique; mais je ne vous en fatiguerai qu'après en avoir reçu l'aveu de vous même.

On écrit ici, que le Roi de Pruffe vient de battre les Autrichiens & de leur tuer 20 mille hommes, en ayant perdu 15 mille des fiens, Voilà donc où il alloit en paffant par Leipfic. Si cette nouvelle eft vraie, la guerre ne fauroit manquer de devenir générale, & de l'air qu'elle commence, elle fera terrible: mais je crains bien que fa M. P. n'ait le fort de Charles XII. Qui le foutiendra contre la France, l'Autriche, & peut être la Ruffie réunies?

[ocr errors]

J'ai l'honneur d'étre, avec une parfaite confidération, Monfieur, &c.

ALLAMAND.

N° III.

M. ALLAMAND à M. GIBBON.

MONSIEUR,

E

BEX, le 12 Octobre, 1756.

Je fuis charmé de l'exactitude & de la pénétration qui fe difputent le terrein dans la dernière lettre que vous avez pris la peine de m'écrire: & comme vous, Monfieur, je crois que la question touche à sa décifion.

Vous avez fans doute raifon de dire que les propo. fitions évidentes dont il s'agit, ne font pas de fimples idées, mais des jugemens. Mais ayez auffi la complaifance de reconnoître que M. Locke les alléguant en exemple d'idées qui paffent pour innées & qui ne le font pas felon lui, s'il y a ici de la méprife, c'eft lui qu'il faut relever là- deffus, & non pas moi, qui n'avois autre chofe à faire qu'à refuter sa manière de raisonner contre l'innéité de ces idées. D'ailleurs, Monfieur, vous remarquerez, s'il vous plait, que dans cette dispute il s'agit en effet, de favoir fi certaines vérités évidentes & communes, & non pas feulement certaines idées fimples, font innées ou non. Ceux qui affirment, ne donnent guère pour exemple d'idées fimples qui le foyent, que celles de Dieu, de l'unité, & de l'exiftence: les autres exemples font pris de propofitions complètes, que vous appellez jugemens.

Mais, dites vous, y aura-t-il donc des jugemens innés? Le jugement est-il autre chofe qu'un acte de

nos facultés intellectuelles dans la comparaifon des idées? Le jugement fur les vérités évidentes, n'eft-il pas une fimple vue de ces vérités-là, un fimple coup d'œil que l'efprit jete fur elles? J'accorde tout cela. Et de grace, qu'eft-ce qu'idée ? N'eft-ce pas vue, ou coup d'œil, fi vous voulez? Ceux qui définiffent l'idée autrement, ne s'éloignent ils pas vifiblement du fens & de l'intention du mot? Dire que les idées font les espèces des chofes imprimées dans l'efprit, comme l'image de l'objet fenfible tracée dans l'œil, n'eft ce pas jargonner plutôt que définir? Or c'eft la faute, qu'ont fait tous les métaphyficiens, & quoique M. Locke l'ait bien fentie, il a mieux aimé se fâcher contre eux, & tirer contre les girouettes de la place, que s'appliquer à démêler ce galimatias. Que n'a-t-il dit: non feulement il n'y a point d'idées innées dans le fens de ces Meffieurs; mais il n'y a point d'idées du tout dans ce fens là: toute idée eft un acte, une vue, un coup d'œil de l'efprit. Dès lors demander s'il y a des idées innées, c'eft demander s'il y a certaines vérités fi évidentes & fi communes que tout efprit non ftupide puiffe naturellement, fans culture & fans maître, fans difcuffion, fans raifonnement, les reconnoître d'un coup d'œil, & fouvent même fans s'appercevoir qu'on jete ce coup d'œil. L'affirmative me paroit incontestable, & felon moi, la queftion eft vidée par-là.

Maintenant prenez garde, Monfieur, que cette manière d'entendre l'affaire, va au but des partifans des idées innées, tout comme la leur; & par la même, contredit M. Locke dans le fien. Car pourquoi voudroit on qu'il y eut des idées innées? C'est pour en

oppofer la certitude & l'évidence au doute univerfel des fceptiques, qui eft ruiné d'un feul coup, s'il y a des vérités dont la vue foit néceffaire & naturelle à l'homme. Or vous fentez, Monfieur, que je puis leur dire cela dans ma façon d'expliquer la chofe, tout auffi bien que les partifans ordinaires des idées innées dans la leur. Et voilà ce qui femble incommoder un peu M. Locke, qui, fans fe déclarer pyrrhonien, laiffe appercevoir un peu trop de foible pour le pyrrhonifme, & a beaucoup contribué à le nourrir dans ce fiècle. A force de vouloir marquer les bornes de nos connoiffances, ce qui étoit fort néceffaire, il a quelquefois tout mis en bornes.

Après ces remarques générales fur le fond de la queftion, il eft peu néceffaire de s'arrêter à quelques particulières, où vous ne me croyez pas fondé. Cependant vous me permettrez de vous faire obferver fur celles que vous relevez: 1. Que dans ce § 5. du ch. 1. il est bien vrai que M. Locke mêle ces deux chofes, être actuellement dans l'efprit, fans que l'efprit s'en apperçoive &, y être, fans qu'il s'en foit jamais apperçu. Mais il eft certain auffi, qu'à la conclufion de ce §, il s'en tient au premier incognito, & donne lieu à ma critique en s'exprimant en ces termes. Je fuis la traduction Françoife n'ayant pas l'original. "De "forte, dit-il, que foutenir qu'une chofe foit dans

l'entendement, & qu'elle n'eft pas conçue par l'en"tendement, qu'elle eft dans l'efprit, fans que l'efprit

[ocr errors]

l'apperçoive, c'eft autant que fi l'on difoit, qu'une "chofe eft, & n'eft pas dans l'efprit ou dans l'enten"dement." N'eft-il pas clair, Monfieur, que ce grand philofophe, écrivant cela, étoit dans l'erreur,

« AnteriorContinuar »